Discours Noces d'or

Par Marie Agnès

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Nous voici tous ensemble aujourd’hui, réunis autour de René et Jeannine, mes parents, à l’occasion de l’anniversaire de leurs cinquante ans de vie commune....

D’abord, c’est un vrai plaisir, du moins je l’espère ! d’être ici tous ensemble :

Dans notre famille, c’est un évènement  de parvenir à réunir les oncles, les tantes, les cousins, (n’est ce pas mon coussin Joël ?), les cousines, les proches, les lointains comme Odile Pellier, Suzanne et Michel Valente, les neveux, les nièces ainsi que les amis comme Jacques, Michelle et Yvette Mercier, ou Monsieur et Madame Ramboz, que, je ne sais pas pourquoi, nous n’appelons jamais par leurs prénoms, Georges et Lucette.....

C’est un évènement exceptionnel....

On regrette bien sûr l’absence de Didier, de Florence et d’Oria leur fille, en cours d’installation à Londres, celle d’Alex, parti en congés annuels....

Merci à vous tous qui avez répondu présents.....

J’espère que vous qui êtes là, qui souvent avez fait beaucoup de kilomètres pour venir, de Paris ou de Lyon, de Nancy ou d’ailleurs, appréciez cette rencontre au caractère un peu particulier.

Je voudrais vous parler de mes parents, mais il n’est pas très facile de parler de ses parents, de leur vie, de leur histoire,

Quand on est enfant, que l’on grandit, que l’on vieillit, on est pris dans une perception toujours décalée, en prise avec cette position si particulière qui vient du fait que sans eux, nous, enfants, nous ne serions pas là..... et on reste toujours les enfants de ses parents, même à 5O ans, c’est parce que mes parents se sont rencontrés, ont convolé en justes noces que je suis là aujourd’hui... il n’est pas très facile de parler de ses parents, et il n’est pas très facile non plus de parler d’une famille de jurassiens, d’hommes et de femmes d’un terroir rude, aride, où la règle est le labeur, le travail, le devoir...... où la parole est rare et concise.....

je vais tout de même essayer.....

René et Jeannine, mes parents donc, vivent ensemble depuis plus de cinquante ans. 5O ans de vie commune, voilà un bel exploit...

Ils se sont mariés jeunes, à 21 et 22 ans, en 1952, au tout début de la seconde moitié du XXème siècle. Pour la jeune génération ici présente, parler de 1952, c’est à peu près remonter dans le temps à l’époque de l’invention de l’imprimerie ou de la machine à vapeur.....

ils n’ont pas tout à fait tort, les p’tits jeunes : cette période de cinquante ans que René et Jeannine, et tous les couples de mes oncles et tantes ici réunis ont vécu ensemble, a vu plus de bouleversements et de changements que plusieurs des siècles précédents réunis; en 1952, donc, René et Jeannine se marient, ils n’ont pas la télé, la première télé chez mes parents date de 1963 ou 64, j’avais dix ans, ils n’ont  évidemment pas de machine à laver le linge ou la vaisselle, de téléphone, de magnétoscope ou d’ordinateur. En guise de salle de bain, comme la majorité des gens de l’époque, ils vivent d’abord dans un deux pièces à Arinthod avec un simple cabinet de toilettes, sans baignoire bien sûr; à ma naissance, ils n’ont évidemment pas de couches jetables, ni toutes les commodités de  toutes sortes dont on n’imagine pas une minute aujourd’hui pouvoir se passer....

Quand ils se marient,  

nous sommes quelques années après cette période de guerre et de privation qu’ils ont vécu adolescents, et dont ils ne parlent jamais, nous entrons - sans le savoir alors bien sûr - dans ce qu’on appellera plus tard “les trente glorieuses” : trente années de croissance économique à  6% ou 7% par an- aujourd’hui, ça laisse rêveur.... et une élévation du niveau de vie sans précédent.

Quand ils se marient, elle,

Jeannine, est la fille de Léon Berthail et d’Apollonie Basson, mes grands-parents maternels, “immigrés” du Chambon-Feugerolles, près de Lyon, au moulin d’Arinthod au milieu de la guerre, pour reprendre la scierie et la ferme du Moulin. 

Lui, 

René, est le fils de Robert Brun, concessionnaire Massey Ferguson, déjà de père en fils, maison crée en 19O2, tout le monde connaît l’histoire, et d’Agnès Berthelon, la “Châtelaine” de Vogna comme disait mon grand-père, tous deux natifs du canton d’Arinthod.

Quand ils se marient,

c’est en fin d’années, fin novembre, drôle d’époque pour un mariage, c’est ce qu’on leur a dit alors, drôle d’époque, c’est peut-être celle qui correspond à la baisse d’activité dans la vie agricole; après, c’est vrai, on rentre dans l’hiver, le froid et la neige, et à l’époque, il y avait vraiment de vrais froids et de vrais quantités de neige.....

Après leur mariage, René et Jeannine partent en voyage de noces, en 4CV, dans la famille Berthail vers Saint Etienne, puis ils reviennent par Grenoble; là, dans la 4CV, ma mère se pèle de froid : en guise de chauffage et de climatisation, elle n’a qu’une bouillotte sous les pieds et qu’une couverture sur les genoux. 

Près d’un an après ce mariage, je suis née;  dans un petit deux pièces, pas très loin de chez mes grands-parents Brun à Arinthod.

Mes parents travaillaient beaucoup, j’allais dire travaillais dur, comme tout un  chacun à cette époque et dans ce pays.

Trois ans après moi, est né Patrick, dans la petite maison sur le haut d’Arinthod, que mes parents avaient fait construire, et quatre ans plus tard, en 196O, Jean-François, le p’tit dernier.

A la naissance du p’tit dernier, Jeannine, ma mère a arrêté de travailler pendant près de deux ans : cela a été une  période particulièrement agréable, elle était là quand nous rentrions de l’école, nous descendions tous les quatre à pied au Moulin, le jeudi après-midi voir “mamie”, la grand-mère Berthail. J’avais l’impression de connaître chaque caillou de ce raccourci qui part de la Croix pour arriver au-dessus de la scierie....

A part cette période, Jeannine a toujours travaillé, ou au Trésor Public les impôts ou pour la maison Brun; elle a toujours travaillé, bien que mon père pensait que ce ne soit pas absolument nécessaire...

Elle a eu cette volonté d’ avoir une vie professionnelle, malgré les difficultés que cela représentait pour s’occuper de nous; aujourd’hui, c’est la règle, à l’époque, c’était encore rare.

Jean-François, le p’tit dernier, le p’tit frère de mes années d’enfance, n’est pas là aujourd’hui.

Il fait parti des absents, comme d’autres de la famille, comme Jean-Michel et Philippe les enfants de Colette et Paul.

Jean-François est mort à  seize ans en 1976, une très forte fièvre, en plein été, en pleine chaleur, en pleine période de vacances.

L’enfant brillant qui entrait en première, dessinait, et pilotait les avions à l’aéro-club de Courlaoux  est mort en quelques heures, au plein soleil du mois d’août, à l’entrée de sa jeunesse et  de sa dix-septième année....

C’est idiot, c’est bête, ça reste insupportable. Les morts de ces enfants là sont toutes injustes,

Évidemment après, tout est différent..... Tout est différent, mais tout continue, coûte que coûte, nous quatre Jeannine, René, Patrick et moi, gardons en mémoire les souvenirs des jours heureux, à cinq, avec Jean-François, comme ceux des vacances au bord de la mer méditerranée quand mon père s’autorisait fin août à prendre quelques jours de vacances, dans le Sud, à la Garde près de Toulon, parce qu’il travaillait beaucoup mon père.

Du point de vue des enfants que nous étions, bien sûr, il travaillait trop, et nous ne le voyions pas assez....

Mais, son travail, c’était le prix de l’entreprise familiale à faire tourner : il n’y a rien à  reprocher, au contraire, une reconnaissance à avoir,  d’avoir su garder et tenir le cap aujourd’hui transmis et repris par Patrick : une entreprise familiale, c’est lourd et ça a tendance à manger les hommes......

Et cette époque des années soixante n’était pas celle d’aujourd’hui, ça n’était pas celle de la recherche du bien-être, de la réalisation de soi, de l’individualisme, des 35 heures et  des loisirs.....

L’époque de 68, “la révolution de 68”, est venue comme une turbulence créer du changement, vent de liberté de ton, de paroles, de mœurs, d’expressions de toutes sortes, pour ceux qui ont eu 15 ou 2O ans à cette époque là, et pour ceux qui sont nés après.....

Eux, mes parents, René et Jeannine, et ceux de cette génération là, ont subi une enfance dans l’effroi de la guerre, ont vécu une jeunesse dans l’incertitude du lendemain, une vie d’adultes dans la nécessité et l’obligation de tenir et de s’en sortir, avec droiture, vaillance et abnégation, sans se ménager, sans jamais ménager leur peine, sans prendre le temps de penser à soi.... Penser à soi : c’est peut-être le plus grand écart entre leur vie et la nôtre.

Aujourd’hui, nous pouvons leur rendre hommage à eux, René et Jeannine, mon père et ma mère, et à toute leur génération ici présente.

La famille Brun/Berthail n’est pas une famille de gens très expansifs : nous ne sommes pas des gens marrants ou rigolos, nous ressemblons à ce terroir jurassien rude, presque austère, terre de gens solides, forts et solidaires qui se soutiennent, s’épaulent et s’entraident.

Mes parents, et ceux de leur génération ont traversé cette seconde moitié du vingtième siècle et les épreuves de la vie,..... dans un respect et un soutien mutuel et constant les uns des autres et de leurs différences.

A vous René et Jeannine, et à tous les autres, bravo, et merci pour cet héritage que vous nous avez transmis......

Marie-Agnès

Paris, avril 2OO3

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